Les sex-shops et les love-shops peinent à survivre dans les Côtes-d’Armor. Entre la concurrence des sites Internet, l’achat en ligne et des «centres commerciaux du sexe», difficile pour des boutiques d’entrepreneurs indépendants de garder une clientèle stable et de dégager des bénéfices.
Le « qu’en dira-t-on » coûte cher aux propriétaires de sex-shops et de love-shops costarmoricains. De cinq il y a encore dix ans, il n’en reste plus qu’un seul. Alors qu’en 2013, Gaëlle Sanguillon ouvrait son premier établissement destiné « aux couples désireux, entre autres, de stimuler leur libido », Rouge Passion à Lannion, la demande en matière d’objets sexuels a évolué et leurs supports de commercialisation aussi.
Sous réserve de mise à jour
Il n’a pas fallu plus de cinq ans à l’entrepreneure pour faire faillite et fermer son magasin. Bien qu’elle nie le regret de voir son entreprise tomber à l’eau, Gaëlle Sanguillon avait dû engager, à son ouverture, toute sa fortune. « Il n’y a aucune aide pour ce genre d’établissement, ni de l’Etat ni des banques » car ils font l’objet, comme les bars, d’une législation particulière.
Anonymat et gratuité sur internet
D’une manière générale, depuis leur genèse dans les années 70, les sex-shops ont bien évolué, explique Baptiste Coulmont, professeur de sociologie à l’université Paris 8. Il est l’auteur de Sex-shops, une histoire française. Selon lui, c’est cette évolution qui marque aussi leur perte aujourd’hui. « Les gadgets sexuels ne rapportent presque rien, financièrement. »
Ces établissements étaient surtout fréquentés pour leurs cabines. Elles servaient de lieux de visionnage de films pornographiques mais aussi de lieux de rencontres, notamment entre personnes du même sexe. C’est dans ce contexte qu’internet a fait du mal à l’industrie. Les clients sont devenus totalement anonymes. « Avec les portables, les gens ont leurs images masturbatoires avec eux en permanence. » Les vidéos vendues en sex-shops se retrouvent sur internet gratuitement. « Si j’avais eu un site web, mon magasin aurait pu survivre, seulement, cela demande de l’argent supplémentaire », assure Gaëlle Sanguillon.
Petits patrons contre géant de la sexualité
À la fois présent dans les rues et sur la toile, le groupe Dorcel, lui, n’a pas loupé le coche du commerce 2.0. Un « supermarché du sexe », signé Marc Dorcel s’est installé à Langueux en 2016. « Dès son ouverture, mon chiffre d’affaires est passé de 40 000 euros à 15 000 euros », déplore Gaëlle Sanguillon.
À l’origine, Marc Dorcel devait ouvrir son 5e magasin breton à Lannion mais Paul le Bihan, maire de Lannion, a mis son veto pour empêcher son installation sur le territoire. Si bien que la chaîne est partie s’installer dans une ville voisine et qu’elle a raflé tous les clients des sex-shops et love-shops aux alentours. « Internet n’entre pas en confrontation avec le commerce physique puisque nos clients achètent en boutique et en ligne. Le groupe Dorcel dispose de grosses plateformes d’e-commerce qui sont sous notre réseau », précise Grégory Dorcel.
Ce service global n’influe en rien sur les performances du groupe puisqu’il ouvre « 5 à 10 magasins par année ». Selon lui, tout repose sur la confiance des clients et l’expertise des magasins : « Un client peut très bien se rendre en boutique pour demander des explications, toucher un produit. »
Les magasins gérés par des entrepreneurs dans des petites villes se retrouvent confrontés aux mêmes problématiques que les petits commerces. Les clients préfèrent se tourner vers de plus grandes surfaces où l’acheteur est anonymisé, installés dans des villes plus importantes.
Le virage des love-shops
De plus, la législation trop contraignante n’a pas aidé. Dès 2002, elle a poussé les entrepreneurs à s’installer sous l’étiquette de love-shops. Les établissements identifiés comme sex-shops n’ayant notamment pas l’autorisation de s’installer à moins de 200 mètres d’établissements scolaires. Ils sont également interdits aux mineurs.
Selon Grégory Dorcel, directeur général du Groupe Dorcel, les sex-shops s’adressent d’abord à une clientèle masculine. Leurs produits sont ouvertement sexuels et pornographiques, là où les love-shops proposent une gamme ouverte à un public moins socialisé à la pornographie.
« Les comportements et les mœurs ont évolué. Les love-shops se sont adaptés aux besoin des consommateurs. » On y trouve plus de lingeries et de sextoys conventionnels comme des masturbateurs ou des godemichets. Si les love-shops ont pris le pas sur les sex-shops, c’est avant tout à cause des mentalités qui ont évolué, les acheteurs cherchant beaucoup moins les produits en lien avec la sexualité hard.
Des mentalités qui peinent à évoluer à Lannion
Constat qui ne semble pas s’appliquer toutefois à la ville de Lannion où Gaëlle Sanguillon affirme carrément avoir croisé une « perversité » mal assumée. Les habitants du Trégor n’étaient pas les premiers à pousser sa porte. Ses clients venaient d’autres villes comme Paimpol, Guingamp et Saint-Brieuc, explique-t-elle : « Les clients veulent de la discrétion. »
Elle qui ne proposait pas de produits pornographiques au début a dû vite s’adapter à une demande d’objets sexuels plus hard. « Mon love-shop est devenu un sex-shop », résume Gaëlle Sanguillon découragée par l’écart entre les demandes. « Soit les clients me demandaient des produits soft, soit, au contraire, ils me demandaient des objets poussés, parfois même à caractère pédophile. »
Résultat, la commerçante a fini par transformer son commerce à l’inverse de la tendance. Après comment résister ? Les commerçants qui veulent se spécialiser dans la sexualité aujourd’hui n’ont pas le choix, ils doivent moderniser leurs établissements et leurs plateformes de vente.
Gaëlle Sanguillon quant à elle, est devenue aide-soignante en Ehpad. Aujourd’hui, son ancien métier lui permet de se montrer plus compréhensive quant à la sexualité de ses patients, là où la sexualité des seniors demeure un tabou.