En Espagne, l’aspirateur à clitoris fait fureur : Top 3 d’Amazon, un des cadeaux les plus demandés à Noël et même un costume fréquent au carnaval. Utilisatrices, youtubeuses et communicantes témoignent sur le sextoy qui a fait évoluer la société ibérique et le marché du sexe.
Le 3 mars, María Galiana, qui tient le rôle d’une douce grand-mère dans la mythique série espagnole “Cuéntame” confiait dans un populaire programme d’interviews être une utilisatrice de l’aspirateur à clitoris. L’actrice, de 84 ans connue sous le surnom de “grand-mère de l’Espagne” s’exprimait sur le sextoy de cette manière : “Les rois mages m’ont donné ce dernier jouet… Comment ça s’appelle? quelque chose du clitoris?”.
Applaudissements et rires se sont fait entendre dans le public. Ce genre de confession n’est plus très surprenante maintenant en Espagne. Maria Galiana n’a pas été l’unique célébrité à parler publiquement du sextoy de mode. C’est un sujet fréquent dans les matinales, débats et même comme cadeau pour les invités de la télévision.
Un sextoy différent
L’aspirateur à clitoris n’est pourtant pas une nouveauté. Ce sextoy naissait en 2014, inventé par Mikel Lenke, fondateur de l’entreprise allemande ‘Womanizer’. Jusque-là, presqu’aucun sextoy n’était adapté spécifiquement au clitoris. L’offre de ce genre de produits était souvent pensée comme une substitution de la pénétration.
C’est pour ça que cet appareil est une révolution dans le marché : il s’agit du premier simulateur du sexe oral. “Le ‘Pleasure Air Technology’, développé pour Michael Lenke, fait des ondes d’air qui massent doucement et stimulent les terminaisons nerveuses sensibles du clitoris sans le toucher. Cela permet à de nombreuses femmes d’atteindre l’orgasme pour la première fois ou d’obtenir un orgasme plus facilement”, explique Johanna Rief, chargée de communication à ‘Womanizer’.
Différent des vibromasseurs traditionnels, le succès du ‘Womanizer’ est notable depuis 2014, ce qui encourage beaucoup d’entreprises à vendre leurs propres versions. Des marques comme ‘Lelo’ ou ‘Satisfyer’ élargissent le marché en offrant des alternatives peu coûteuses. Cela explique la folie déclenchée en Espagne, où l’aspirateur à clitoris coûte environ 40€, en comparaison avec un prix moyen de 80 en France. Selon le journal “El Español”, les ventes de ‘Lelo’ ont augmenté de 1 300 % en 3 mois en 2019, par exemple. Mais le numéro 1 dans le pays voisin a été la marque ‘Satisfyer’, qui est dans le top 3 sur Amazon, dans la section “Produits hygiène et santé”. Il est en 2019 le produit le plus recherché par les Espagnols, selon le site web de comparaison de prix www.idealo.es.
“Le même jour les commandes étaient multipliées par 10”
Mais pourquoi ce boom soudain des aspirateurs à clitoris l’an dernier en Espagne ?
Tout a commencé avec une campagne marketing sur Instagram de ‘Plátano Melón’, le sexshop en ligne leader en Espagne, avec les illustrations de la designante ‘Moderna de Pueblo’. “Nous vendons l’aspirateur depuis 2014 mais, au début septembre 2019, nous avons fait la campagne avec ‘Moderna de Pueblo’. Le stock s’est épuisé, le jour même les commandes étaient multipliées par 10”, explique Laura Castro, chargée de communication de ‘Plátano Melón’.
Ce bon résultat était une surprise pour tout le monde : “Notre clientèle, c’était des femmes plus âgées que 25 ans, c’est pour ça que nous nous attendions au succès du post Instagram mais, quand même, le résultat était très surprenant”, souligne-t-elle.
Ver esta publicación en InstagramUna publicación compartida de ModernaDePueblo (@modernadepueblo) el
Les médias traditionnels se sont fait l’écho de la fureur des ventes et likes, permettant à une clientèle plus âgée de connaître l’aspirateur à clitoris. Les utilisatrices de ce jouet ont augmenté, elles se sont diversifiées. “Avec l’aspirateur, on a réussi à faire que les sextoys ne s’adressent pas seulement aux personnes qui sont très impliquées dans ce milieu. En Espagne, on y parle dans chaque émission TV, radio, on en parle pendant le repas de Noël avec notre mère, grand-mère…”, raconte Laura Castro.
C’est vrai, parler de sexualité plus librement est une des conséquences de cette vogue. “Les sextoys sont devenus une partie supplémentaire du style de vie quotidien en Espagne l’année dernière. Ce changement culturel vers une attitude plus ouverte bien sûr est bénéfique pour l’industrie du jouet sexuel”, raconte Johanna Rief.
Féministe ou pas?
Pour beaucoup de femmes, c’est le mouvement féministe qui a ouvert la voie pour parler librement de l’orgasme féminin. “Je pense que la popularité est lié au féminisme et aussi je pense qu’en Espagne il y a moins de tabous. La revendication des femmes, parler du féminisme ne se développe pas en France”, raconte Anne* (voir fin de texte), Française qui habite en Espagne depuis 10 ans.
Elle a utilisé quelques sextoys mais jamais l’aspirateur à clitoris. “En Espagne, ça devient absurde l’importance qui lui est donnée, vous pouvez profiter de votre sexualité sans le crier aux quatre vents”, exprime-t-elle.
Comme Anne, beaucoup de féministes espagnoles craignent qu’un produit capitaliste soit utilisé comme symbole de lutte, sortant même dans les manifestations du 8 mars. “L’aspirateur ne doit pas être un drapeau féministe mais si ce féminisme n’avait pas été construit, il ne serait pas si facile de parler du plaisir féminin sur tous les canaux que nous utilisons en ce moment”, constate la comunicante de ‘Plátano Melón’.
La génération qui parle des sextoys
Pour beaucoup de femmes, les sextoys ont été l’excuse parfaite pour faire valoir la masturbation féminine. “Le féminisme a atteint le stade tel qu’aujourd’hui, on a la chance de pouvoir ouvrir nos gueules et dire que on a le droit de kiffer et de jouir. Donc, heureusement que les sextoys sont là”, raconte Carole, étudiante française accro des sextoys.
Luna*, étudiante à Lannion, fait partie aussi de la génération qui utilise les jouets comme outil de libération féminine. “Je pense que, chaque jour, on parle plus des sextoys. Même sur insta, il y a plein de pages et tout qui parlent de l’orgasme féminin. Elles expliquent que tu peux avoir un orgasme de pleins de manières différentes”, décrit-elle.
Luna, utilisatrice de l’aspirateur à clitoris, est critique du discours féministe autour de ce jouet: “Le féminisme aide, depuis qu’on parle du clitoris, on développe des sextoys qui sont faits pour ça. Mais on ne peut pas dire que c’est féministe. On habite dans un monde très capitaliste qui utilise l’excuse du féminisme pour vendre des choses”, se craint la jeune femme.
Une nouvelle étape de l’industrie du sexe
Féministe ou pas, l’expérience du boom de l’aspirateur à clitoris en Espagne a un grand impact sur l’industrie des jouets sexuels. Elle a montré l’importance et l’effectivité de la publicité sur les réseaux sociaux. Il était compliqué jusqu’ici de faire de la pub pour l’industrie du sexe, le bouche-à-oreille était la manière la plus répandue de connaître des nouveautés.
Maintenant, les utilisatrices peuvent dire leur opinion sur diverses plateformes. C’est le cas de Sandra Collado et de ‘Lau Lool’, youtubeuses espagnoles qui ont publié leur expérience avec l’aspirateur à clitoris. Les deux affirment que c’était une décision personnelle et pas une stratégie de communication. “J’ai fait la vidéo quand mes amis m’ont demandé si le mythe était vrai, si il était si merveilleux. En plus, il y avait pas beaucoup de contenus promotionnels. Mon but était de raconter ma propre expérience”, raconte ‘Lau Lool’.
Pour ces deux femmes, Youtube est un outil pour casser des tabous “Quand j’ai partagé la vidéo, j’étais un peu incommodée car je savais qu’il y avait beaucoup de tabous sur la masturbation féminine. Maintenant que tout le monde parle du ‘Satisfyer’, c’est plus facile d’en parler”, raconte Sandra Collado. Qui reconnaît que les vidéos où elle parle des sextoys ont plus de vues. “Maintenant, c’est normalisé, on peut aborder le sujet sans le point de vue pornographique, avec naturel, et ça encourage beaucoup de personnes à consommer ce genre de produits”, dit-elle.
Le rôle des réseaux
La plupart des utilisatrices ont découvert ce jouet grâce aux réseaux sociaux. “Sans les réseaux, je ne le connaîtrais pas”, confesse Raquel, utilisatrice espagnole. De même, Johanna Rief, en tant que communicante chez ‘Womanizer’, en parle du point de vue des entreprises “Les réseaux sont encore très conservateurs. En fait, les marques de jouets sexuels ne sont pas autorisées à placer des annonces. Bien sûr, les médias sociaux offrent une excellente occasion de rejoindre un large public. Notre chaîne Instagram, par exemple, est en pleine croissance en ce moment”.
“C’est un sextoy que fait moins peur”
Ensuite, ce jouet a démontré que les appareils pensés uniquement pour le plaisir féminin sont les plus vendus. Tous les femmes que nous avons contactées ne pensent pas que l’aspirateur ait un point négatif.
La plupart pensent que ce qui les a attirées le plus, c’est qu’il n’est pas un sextoy invasif. Selon Sandra Collado, “le fait qu’il n’est pas une chose phallocentrique le rend différent de tous les sextoys vendus d’habitude dans les sexshops”.
Pour Luna, l’étudiante de Lannion, “c’est un sextoy qui fait moins peur aux gens parce que, visuellement, il ne ressemble pas à un sextoy, c’est un objet un peu design”. Mais, Laura Castro, chargée de communication du sexshop leader en Espagne, se montre encore critique : “On est une société phallocentrique et coito centrée, l’aspirateur ne va pas mettre ça en échec. Mais ce jouet nous a démontré, d’une manière pratique, que la pénétration n’est pas essentielle pour le plaisir”.
L’Espagne n’est pas un cas isolé
Quand la youtubeuse ‘Lau Lool’ s’est rendue compte que le phénomène social de l’aspirateur était particulier en Espagne, sa surprise a été grande. “Je pensais que nous étions les dernières à le savoir, parce que les Espagnoles, nous sommes les dernières en tout”, rigole-t-elle.
Malgré l’avance espagnole, ce sextoy n’est pas uniquement connu là-bas. “En 2019, nous avons remarqué une augmentation des ventes de 40% en comparaison avec 2018. En France, la vente de ‘Womanizer’ a augmenté de 297% dans les premiers mois de 2020”, détaille Johanna Rief.
“Lorsqu’on pense en France, on a encore le cliché de l’amour et du romantisme…”, souligne-t-elle. “Nous savons, grâce à notre ‘sex toy testerpanel’, que les Français sont encore un peu timides ou prudents lorsqu’il s’agit de parler ouvertement de sexualité. Mais la culture évolue aussi, ce que nos chiffres de vente confirment”, ajoute la chargée de com de ‘Womanizer’.
La youtubeuse Clemity Jane confirme le succès de ce jouet en France : “Le womanizer, c’est aussi très populaire en France. Il y a de nombreuses personnes qui en parlent, qui l’ont dèjá testé. On en discute énormément sur ma chaîne. C’est efficace de façon universelle donc forcément les gens ne pouvaient pas passer à côté “, rigole-t-elle.
Pour l’entreprise espagnole ‘Plátano Melón’, la différence entre l’Espagne et la France n’est pas la manière de parler du sexe mais la stratégie de communication. “Nous avons fait une grande promo de l’aspirateur et, pour l’instant, aucune entreprise française ne l’a fait. Je pense qu’en sachant le succès qu’il a eu en Espagne, les entreprises françaises feront la même chose. Si ça a été possible en Espagne, pourquoi pas dans d’autres pays?” conclut Laura Castro.
Bien qu’il s’agisse uniquement d’un produit de consommation, l’aspirateur à clitoris a ouvert en Espagne un débat public intéressant à propos du plaisir, de la masturbation et de l’orgasme féminin. Comme l’actrice María Galiana l’a fait, peut-être que, bientôt, des célébrités françaises parleront aussi des sextoys à la télévision.
*Le prénom est fictif pour conserver l’anonymat.