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Handicap : A chacun sa sexualité

Handicap : A chacun sa sexualité

Les rapports sexuels entre les personnes en situation de handicap sont un sujet peu abordé. Pourtant ils existent bel et bien. Au sein de l’association Apajh, les équipes encadrantes tentent d’accompagner au mieux les résidents dans leurs relations de couples. La contraception, le consentement, la notion d’intimité et la protection contre les IST sont des sujets traités avec les résidents. Reportage au sein du foyer Apajh de Plounévez-Mouëdec.

A quelques pas du bourg de Plounévez-Mouëdec (Côtes d’Armor, Bretagne), se situe le foyer de vie Avalenn de l’Association pour Adultes et Jeunes Handicapés (Apajh). Ce lieu de vie, inauguré en 2016 regroupe une trentaine de résidents. La vie en collectivité dans ces foyers de vie implique des rencontres et parfois, des couples se forment. Dans cette situation, la sexualité est un sujet du quotidien mais qui reste secondaire, la priorité est aux relations sentimentales entre les résidents.

Ici on accueille des personnes qui sont en situation de handicap qui ne permettent pas aux résidents de vivre en autonomie mais qui ne demandent pas non plus une assistance médicale imposée” explique Gaël Desbordes, aide-médico-psychologique du foyer de vie Avalenn.

Depuis son ouverture, il y a quatre ans,  plusieurs couples se sont formés. Nous en comptons quatre en ce moment ” explique Thierry Corbel, aide soignant. A ce sujet, le personnel soignant et les coordinateurs ont un rôle très important pour assurer aux résidents une vie de couple sereine et bienveillante. “On doit être très vigilant au consentement. Les résidents n’ont pas tous les mêmes difficultés et donc, n’ont pas les mêmes rapports à l’amour et à la sexualité” précise Thierry Corbel. Pour aborder la sexualité avec les résidents, l’équipe encadrante a fait appel au centre de planification de Lannion en 2019. Sur une journée, les différents couples du foyer ont échangés au foyer APAJH de Ploumagoar avec les professionnels du centre de planification. Au menu : contraception, consentements et questions diverses. 

On a pu demander comment on faisait les bébés” 

La formation a permis aux résidents de parler sexualité et de poser leurs questions librement sans crainte. “Ça, c’était bien. On a posé nos questions et parlé de ça. Moi ça m’a un peu libéré dans ce que je fais avec Manon” raconte David, habitant du foyer Avalenn. Ce résident de 48 ans est en couple depuis deux ans avec Manon (26 ans).

L’équipe encadrante souhaite reconduire cette formation qui permet aux langues de se délier et aux questions d’être posées. Pour David et Manon, cette formation a été très intéressante d’autant plus que l’homme et la femme n’ont pas les mêmes attentes. Alors que Manon se voudrait plus tactile, David lui, souhaiterait attendre le mariage. David confie être gêné lorsque Manon tente un rapprochement physique. La jeune femme est davantage dans la demande de rapports sexuels tandis que son compagnon préfère les étreintes… La vigilance occupe une grande partie du travail des équipes encadrantes. Les résidents n’ont ni les mêmes désirs, ni les mêmes besoins, il faut que le personnel puisse proposer aux personnes en situations de handicap des solutions qui conviennent à tout le monde en cas de difficultés relationnelles dans le couple. Gwendoline Even est coordinatrice, elle veille avec les équipes encadrantes (moniteurs-éducateurs, maître ou maîtresse de maison, aides-médico-psychologiques, aides soignants) à ce que les personnes en situation de handicap ne s’oublient pas dans la relation de couple. “On a déjà eu des cas où dans le couple un résident devenait irritable à force de dormir avec sa moitié. L’autre personne bougeait trop la nuit et l’empêchait de dormir, ce qui empiétait largement sur son état psychique”. Avec la famille et les résidents, l’équipe veille à “étayer” la relation du couple dans l’objectif de répondre aux besoins personnels de chaque personne.

La formation animée par le centre de planification de Lannion a aussi permis aux résidents du foyer d’aborder la question de la maternité. Manon et David souhaitent devenir parents. “On a demandé comment on faisait les bébés et on sait qu’il faut mettre la petite graine dans le ventre”. Actuellement aucune femme n’est tombée enceinte au foyer Avalenn. La plus grande majorité d’entre elles prennent un moyen de contraception selon Gwendoline Even. Elle ajoute, qu’il existe sur le territoire, des infrastructures qui accueillent des parents déficients mentaux et leur bébé. “Nous ne pouvons pas interdire aux résidents de devenir parents. Notre avis peut aider la famille à prendre une décision mais nous ne pouvons rien imposer. S’il y a une grossesse, notre rôle sera de réfléchir à comment on peut accueillir la maman et son bébé dans les meilleurs conditions” explique Thierry Corbel.

 Dialoguer

Dans ces foyers de vie, les résidents sont encadrés mais libres et le dialogue est un élément clé de la bonne entente entre les encadrants et les résidents. “On parle aussi de sexe avec Thierry, je lui ai dit qu’on voulait avoir un enfant. On parle de ça mais pas avec les autres résidents” explique David. “Je  me demande si c’est par pudeur ou si c’est parce qu’ils ne connaissent pas suffisamment bien ce sujet” se questionne Gaël Desbordes, aide médico-psychologique. 

L’équipe tient à maintenir et préserver un dialogue de qualité avec les résidents. “Quand ils arrivent on ne connaît rien d’eux” assure Gaël Desbordes. Les encadrants apprennent à connaître ces hommes et ces femmes au fil du temps. Concernant la protection contre les infections sexuellement transmissibles (IST), le personnel soignant doit faire attention. “On ne fait pas de dépistage d’IST régulièrement. Si à la visite médicale ou dans les analyses de sang, on ne recherche pas d’infections particulières, on peut ne pas être au courant de certains problèmes. On est vigilant sur le nombre de partenaires des résidents actifs sexuellement. Dans les couples du foyer, on pense que les résidents n’ont qu’un partenaire” expliquent Gaël Desbordes et Thierry Corbel. Cependant Gaël Desbordes précise que la résidence dans laquelle il exerce, est un foyer de vie, ce qui implique de laisser une liberté aux résidents et davantage lorsqu’ ils quittent la résidence le temps d’un weekend ou des vacances avec leurs proches de l’extérieur.

Avoir de l’intimité

Dans le foyer d’Avalenn, situé au milieu des champs chaque résident a sa chambre individuelle (ortho). Certains ont une chambre avec un lit deux places comme Manon. “Le mardi et le jeudi on dort dans ma chambre parce que mon lit est plus grand”.

Ces nuits passées en couple sont des moments appréciés par les résidents. “On regarde la TV et ensuite c’est le soir qu’on se fait des câlins” se confient Manon et David. “Nous on se fait des câlins et des bisous que quand on est dans notre chambre. C’est notre vie à nous mais parfois on entend les autres qui écoutent aux portes et ça, ça m’énerve” explique Manon.

Dans ce foyer, si les relations entre les personnes sont sous le signe de la bonne entente la plupart  du temps, il arrive que des tensions fassent leur apparition. L’histoire de Manon et David a connu quelques moments noirs. “Il y a eu de la jalousie de la part d’autres résidents. On a failli se séparer. C’était très très dur. On pleurait, on était fâché” explique David les bras enlacés autour de son amoureuse. Aujourd’hui tout est fini “On est ensemble pour de bon !” affirme Manon avant d’embrasser David.

Les deux amoureux projettent de voyager ensemble et qui sait un jour peut-être emménager dans la même chambre au foyer ou ailleurs.

 

Canelle Corbel et Achille Dupas

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